2011-10-09

Plumard

(Dessins de Renaud Bouret)

On dit souvent que l’anglais possède un vocabulaire plus riche que le français lorsqu’il s’agit de décrire la réalité concrète. Et on cite, immanquablement, les multiples façons de dire « ça brille » : glitter, glimmer, glisten, sparkle, etc. Disons tout simplement que l’anglais possède un vocabulaire varié sur le thème de la lumière.

Essayons maintenant de traduire en anglais les expressions : « bêta, niaiseux, triple buse, demeuré, lourdaud, gourde, crétin, tronche d’ail, tête de nœud, roi des cons, etc. ». Le français arrive au moins à égalité avec l’anglais. Quant au japonais et au chinois, il font alors piètre figure. En lisant un manga en version originale, on s’aperçoit que les insultes se résument presque toutes à baka (idiot) ou ahō (crétin). En chinois, on ne trouve guère plus d’une demi-douzaine de variantes du mot « idiot », là où le français en compte une bonne trentaine. Et quand il s’agit de parler des plaisirs du plumard ou de la table, le gaulois, pardon, le français bat non seulement l’anglais à plate couture, mais il laisse le japonais et le chinois sur le carreau.

Cherchons le verbe se gaver dans le Larousse français-chinois. On y trouvera chī hěn duō, qui signifie, tout simplement « manger beaucoup ». Le verbe « s’empiffrer » est traduit par dà chī qui veut dire « manger grandement ». Tout ça ne fait pas très « goinfre ». Cela dit, la « langue de Mao » possède indéniablement un très vaste vocabulaire technique et littéraire. Il n’y a qu’à peser un bon dictionnaire chinois pour s’en convaincre.

On trouvera probablement des explications historiques et sociales à ce phénomène, mais concentrons-nous ici sur les contraintes phonétiques. La marge de manœuvre phonétique des mots chinois et japonais est beaucoup plus restreinte que celle des mots français. Le chinois est limité à quelques 400 syllabes préfabriquées, et le japonais n’a droit qu’à une succession de consonnes et de voyelles (ou de diphtongues). Les mots plumard, pieu, pageot, pucier et paddock, qui commencent d’ailleurs tous par un « P », ont chacun leur résonnance bien distincte, du moins pour une oreille française. En chinois, le mot plumard serait par contre imprononçable : la première syllabe commence par deux consonnes (le maximum permis est d’une seule consonne) et la seconde syllabe se termine par un « R » (« N » et « NG » sont les seules consonnes admises en fin de syllabe). En japonais, plumard se prononcerait « purumaru », mot qui, s’il existait, ressemblerait à n’importe quel banal mot japonais.

Dans le dictionnaire français-chinois de l’argot, le mot « plumard » est traduit par chu­áng, mot qui signifie tout bêtement « lit » et qui possède une ribambelle d’homophones ou de quasi-homophones (chuáng : bannière; chuǎng : se précipiter; chuàng : établir; chuāng : blessure; chuāng : fenêtre…). « Grimper au plumard » se traduit par un prosaïque shàng chuáng, mot à mot « monter sur le lit »… probablement pour y dormir.

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